Nous leurs devons nos progrès technologiques récents les plus fulgurants. Sauf que les terres rares nous sont aussi « vendues » comme la clef des énergies propres de demain. Comme un bug.
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Définition et liste des terres rares
Les terres rares désignent un ensemble de 17 éléments métalliques :
- le scandium,
- l’yttrium,
- et 15 autres éléments chimiques dits lanthanides (du lanthane (57) au lutécium (71) dans le tableau périodique des éléments).
Les terres rares ne le sont pas au sens propre du terme : la plus abondante des terres rares qu’est le cérium l’est plus que le cuivre, la plus rare qu’est le thulium est plus répandue que l’argent.
Leur rareté tient à leur dispersion dans la croûte terrestre : dans la nature, elles sont associées en proportions toujours infimes à des métaux abondants. Ainsi, un sol contient-il en moyenne 1 200 fois moins de néodyme et 2650 fois moins de gallium que de fer.
Terres rares et tableau périodique

Le principe actif de l’écorce terrestre
A l’instar d’une huile essentielle, les propriétés de ces métaux sont un concentré de principes actifs, issus de milliards d’années d’activité géologique (source : La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron, Les Liens qui Libèrent).
L’intérêt des métaux rares tient en particulier à leurs propriétés magnétiques exceptionnelles : lorsqu’une charge électrique rencontre le champ magnétique de deux aimants, la force générée les fait pivoter l’un vers l’autre. Ces électro-aimants sont la clef des moteurs électriques.
Jusqu’alors, ces aimants permanents étaient en ferrite. Mais il fallait une quantité importante de ferrite pour obtenir un champ magnétique suffisant. D’où la taille volumineuse des tout premiers téléphones portables.
Un aimant de samarium est sept fois plus puissant qu’un aimant en ferrite, un aimant en néodyme, dix fois plus : le terres rares ont permis toute la miniaturisation dont nous profitons.
Les utilisations des terres rares
La télé couleur
Jusque dans les années 1970, leur application était limitée à leurs propriétés luminophores : ainsi pour les usages grand public, les briquets (la mollette du briquet frotte contre la pierre à briquet qui est un mélange de terres rares ou « mischmétal ») ou la flamme blanche des camping-gaz, due au cérium.
La véritable application grand public est intervenue avec la télévision en couleur. Situées sur la face interne des écrans et excitées par le tube cathodique, elles permettent de voir nos écrans en couleur : la couleur rouge grâce à de l’europium, la verte grâce à du terbium.
« Next oil »
Elles sont aujourd’hui le couteau suisse de la révolution énergétique et numérique.
L’électro-magnétisme miniaturisé sert à tout : à faire du vélo électrique, à l’avion solaire Solar Impulse de Bertrand Piccard pour boucler le tour de la Terre.
Il y a des terres rares dans les éclairages (gallium, arsenic), les éoliennes (néodyme, dysprosium), les panneaux solaires (indium, gallium, tellure), les pots catalytiques (rhodium, palladium), les véhicules électriques (lithium, cobalt, néodyme, dysprosium), la voiture sans chauffeur, le TGV, l’optique de pointe, le nucléaire, l’armement, etc.
Concevrait-on de vivre sans internet ? Les terres rares sont le big-data et l’intelligence artificielle, avec les innovations prodigieuses qui lui sont liées : en matière de mobilité, de médecine, etc. Et même d’enjeu politique, d’où la vigilance policière de certains régimes au regard des réseaux sociaux.
Le robotcrop sert à savoir à distance si des fraises sont mûres, et les cueille sans les abîmer. Les plateformes expertes et la chirurgie robotique sont en train de devenir notre santé de demain. Les terre rares modifient y compris notre façon de penser.
Au Japon, lorsque vous prenez le taxi, la reconnaissance faciale permet de vous proposer des publicités adaptées, le temps de votre course. En Chine, elle s’immisce dans votre vie privée, pour savoir si vous êtes un bon citoyen.
Terres rares : pollution et impact écologique
Lorsque nous n’imprimons pas un document, nous avons l’impression de moins gâcher et d’être plus vertueux. De fait, le numérique nous est synonyme d’énergie propre : non polluante et à l’infini.
Or, l’extraction de terres rares des minerais qui en contiennent est hautement polluante : en raison de leur dispersion, accrue par le fait que les lanthanides ont des propriétés chimiques proches alors que nos usages requièrent des matériaux purs à 100%.
Après l’extraction du minerai à ciel ouvert et son broyage en poudre, l’extraction nécessite en moyenne une dizaine de phases de « raffinage », via le procédé le plus employé de « flottation » : la séparation des terres rares du minerai, par des procédés chimiques (acide sulfurique, nitrique, chlorydrique, etc) et une grande consommation d’eau.
En moyenne, la purification d’une tonne de terres rares requiert 200 m3 d’eau. Une eau qui se charge en métaux lourds. Ajouté à cela, l’extraction des terres rares produit des déchets radioactifs dans des proportions qui nécessiteraient de les isoler pendant plusieurs centaines d’années.
Où se trouvent les terres rares ?
Terres rares, le monopole de la Chine
La Chine en est, de loin, le premier producteur au monde. L’une des raisons de ce quasi-monopole est que les pays occidentaux ont préféré ne pas polluer chez eux et s’approvisionner ailleurs. Ce n’est évidemment pas la seule raison.
Mountain Pass, la faillite
Mais entre 1965 et 1995, le site de Mountain Pass aux États-Unis fournissait l’essentiel de la consommation mondiale, alors principalement dédiée aux écrans des TV en couleur. Mais les normes environnementales imposées par l’État de Californie l’ont rendu insuffisamment rentable.
En faillite en 2015, son exploitant Molycorp l’a revendu à un consortium ayant des parts chinoises.

Baotou, la Silicon Valley chinoise
Baotou, la capitale de la Région autonome de Mongolie intérieure est « la Silicon Valley des terres rares », avec le plus gros gisement connu au monde. Rejets chimiques toxiques (thorium et d’uranium), radioactifs, dans l’air, l’eau et les sols : le village avoisinant les mines de Baogang a été surnommé le « village du cancer ».
Les enjeux stratégiques
En somme, la révolution des « Green tech » comporte une bonne part d’ombre : la dépendance à la Chine, d’un point de vue économique, environnemental et stratégique (militaire). Quant aux énergies propres ou recyclables à l’infini, elles confinent à l’aberration : il faudrait extraire plus de minerais que depuis de début de la Révolution industrielle, pour satisfaire l’ensemble des besoins mondiaux d’ici à 2050.